Vendredi matin pluvieux, j’entre dans le métro direction Government Center. Je trouve une place assise, je ne sors pas mon téléphone, je ne sors pas de livre, je ne sors aucun papier de mon sac à dos. Je respire lentement. Je suis potentiellement les nerfs à vif, alors j’ai tendance à rester la plus présente possible. Je regarde autour de moi les gens du matin. La dame assise juste à côté constate que son thermos de café a fui et a coulé le long de sa cuisse, tachant son pantalon. J’ai une boule au ventre, celle qui empêche de manger, boire, parler.
Quand c’est à moi de sortir, je sers mon manteau pour me protéger autant que possible des bourrasques de vent glacial : dans le centre de Boston, ça souffle fort entre les tours. Je marche jusqu’au bâtiment fédéral d’un pas décidé et confiant, je serai dix minutes à l’avance, tout pile, comme le demande ma convocation pour l’entretien de naturalisation.
Aujourd’hui, je passe l’avant-dernière étape pour devenir citoyenne américaine.
Dans mon téléphone, aucune app de réseau social. Ces derniers jours, j’ai passé bien trop de temps à scroller les news inquiétantes pour de nombreux immigrants. Je ne suis ni étudiante dans une université comme Columbia ou Harvard, et je n’ai pas participé à de manifestations ces derniers mois. Je me suis assurée d’avoir supprimé toutes les conversations sur l’administration actuelle.
Je m’avance vers le bâtiment où je suis allée il y a quelques années récupérer ma carte de sécurité sociale, puis quelques années plus tard, passer l’entretien pour ma carte verte. Je m’approche d’une entrée qui n’est pas la bonne : Staff only. Je souffle, je marche un peu plus vite pour être sûre de ne pas arriver en retard.
Je suis une femme de 41 ans, blanche, née en France : je ne suis pas la cible habituelle de contrôles ; par ailleurs, je n’ai pas de casier judiciaire, je n’ai rien à me reprocher. Alors pourquoi ce sentiment de crainte qui m’étreint ?
Bienvenue en mars 2025 aux Etats-Unis, dans une ville libérale de la côte Est, une ville sanctuaire, à la mairesse, Mayor Wu, engagée. Malgré la protection de mon statut actuel d’immigration, les derniers mois ont été choquants, je suis pour le moins ébranlée de tout ce qui se passe dans mon pays d’accueil depuis plus de treize ans.